François Bégaudeau a écrit:
Le Monde du 10 mars 2009
Des stades, pour quoi faire ?
Contrairement à ce qu'une rumeur assez invraisemblable - eu égard au vachard voisinage entre les deux pays - laissait croire, c'est chacune dans son coin que la France et l'Italie se portent candidates pour l'organisation de l'Euro 2016 de football. L'intérêt de la manoeuvre est connu : outre qu'elles sont devenues très rentables, ces macro-manifestations légitiment la sollicitation des pouvoirs publics pour investir dans la rénovation ou la construction d'infrastructures. Si cette manne nous échoit, il restera juste à savoir ce que nous ferons, à long terme, des stades de format international érigés pour l'occasion. Nous qui peinons tant à remplir les moyennes enceintes vouées à ombrager des matches de Ligue 1 déjà passablement ombrageux.
C'est un fait : le sport no 1 en France ne fait pas se déplacer grand monde. De cela certains s'étonnent ; or c'est l'inverse qui devrait étonner. Au fond, quel intérêt y a-t-il à aller au stade ? Pour les supporters, OK : désir de manifester son amour à l'équipe soutenue ; de se fondre dans un kop plus ou moins chaleureux et grégaire ; de joindre sa voix à des chants sublimes ou paillards ; d'extravertir deux ou trois pulsions viriles ; d'expectorer quelques cris de singe agrémentés de saluts tristement romains. Mais pour les autres, ceux qui ne sont pas l'enfant de neuf ans à qui un doux père a offert cette sortie pour ses neuf ans - souvenir presque douloureux de la pelouse vert fluo sous les projecteurs de Marcel-Saupin ? En fait, d'un point de vue strictement footballistique, on ne voit pas. Les tribunes font ressentir le drôle de paradoxe de se trouver très près de l'événement, plus près qu'on ne l'a jamais été au point d'entendre ces coutumiers muets que sont les joueurs s'exclamer contre une décision arbitrale, tout en se sentant complètement à l'écart de l'action, orphelin des plans serrés et des ralentis étoffés de commentaires parfois éclaircissants. L'impression est alors très aiguë de regarder un film parlant avec le son coupé, et au bout du compte de ne pas piger grand-chose à ce qui se passe, en attendant de vérifier à la télé la validité d'un but suspect de hors-jeu, une fois rentrés au chaud.
S'il y a un intérêt, il ne concerne vraiment que les spectateurs placés haut et de préférence pas derrière les buts. C'est la possibilité du plan large. Celui que persistent à nous dérober, sauf par trop brefs inserts, les retransmissions télévisées. Celui qui englobe les vingt-deux joueurs et permet d'apprécier le déplacement plus ou moins cohérent des deux blocs-équipes. Bonheur, alors, de cette chorégraphie aussi réglée qu'aléatoire. Jouissance du moment jamais vraiment consommé où le très réel vire à l'abstraction. Plaisir d'esthète peut-être, plaisir inodore, sans merguez ni frites ni transes chauvines. Plaisir un peu obscène et pour le moins embarrassant au milieu de la foule. Une manière de jeu perso, et c'est aussi pour ça qu'on n'y va plus très souvent, au stade.
François Bégaudeau a écrit:
Le Monde du 17 mars 2009
Système, tactique et café au lait.
A l'heure où notre belle langue française subit les assauts d'Internet et des strings, ne soyons pas avares de clarifications lexicales. Dans le vocable footeux, les mots système et tactique sont souvent utilisés indifféremment. Alors que le premier inclut l'autre. Le système est la structure pérenne, la tactique désigne les variables au sein de la structure. Le système coïncide avec le code chiffré de la disposition des joueurs (3-5-2, ce genre de choses), la tactique avec les ajustements pratiqués en fonction de données liées à telle rencontre (blessure de machin, couloir gauche de l'équipe adverse à bloquer), voire à ce qu'on appelle les circonstances de match.
Les historiens du foot autrement plus érudits que le chroniqueur viril mais correct mais inculte sauraient dire qui inventa tel système, qui eut l'idée de réduire le nombre d'avants à deux puis un. Il n'empêche : aujourd'hui que tout a été essayé, comme disaient les Anciens aux Modernes, un entraîneur n'impose plus sa marque par son système. Ce n'est sûrement pas le 4-3-3 qui fit la suprématie impressionnante du Barça mercredi, vu que les Lyonnais étaient disposés tout pareil.
A système égal, la différence serait donc d'ordre tactique. Et par exemple elle tiendrait à la vocation radicalement offensive de deux des trois milieux catalans. Quand Juninho et Jean II Makoun s'usent dans le pressing et se portent vers l'avant une fois sur cinq, Xavi et Iniesta ne cessent de prendre les intervalles pour jouer en petites passes redoublées avec leurs attaquants.
Mais, dira-t-on, les deux champions d'Europe sont tout simplement de meilleurs techniciens et de meilleurs créateurs. On entrevoit alors que la tactique et le système s'infèrent essentiellement des capacités des joueurs. Carlo Ancelotti, l'entraîneur du Milan AC, explique dans le magazine So foot qu'il a imaginé son « sapin » (4-3-2-1) parce qu'il voulait ne se passer d'aucun des deux « neuf et demi » de classe mondiale à sa disposition, Rivaldo et Rui Costa. Bon entraîneur, donc, celui qui optimise le potentiel objectif de son effectif. Et moins bon, peut-être, celui qui, arc-bouté sur ses options défensives, persiste à cantonner Toulalan, bon dribbleur et passeur, dans un rôle de ratisseur.
Mais, en déclarant dans le même mensuel que Milan « est le seul club qui pourra permettre à Ronaldinho de retrouver son niveau », Ancelotti suggère qu'en amont de la tactique, du système, des individualités, il y a la structure dans laquelle évolue l'équipe. Son ambiance. Son professionnalisme. Ses salaires. Le sourire de la gardienne quand elle vous sert un café au lait le lendemain d'une défaite, ajoutait un jour Reynald Denoueix. Autant de choses qu'on regroupe parfois sous le terme d'environnement, et à quoi il faudrait ajouter la personnalité du président, qui parfois se trouve présider aussi aux destinées de l'Italie. D'ailleurs Ancelotti se dit politiquement d'accord sur tout avec Berlusconi, et là d'un seul coup il nous prend l'envie de parler de terrain, rien que de terrain.